Produire du textile en France et dans le respect du climat, c’est rentable !

TDV Industries fabrique des vêtements professionnels depuis 150 ans. Il y a 15 ans, cette entreprise familiale a massivement investi dans son appareil de production, localisé en France, et dans le respect de l’environnement. Une stratégie gagnante puisque, dans un contexte textile sinistré dans l’Hexagone, l’entreprise tire son épingle du jeu. Entretien avec Corinne Lutin-Delzers, la directrice du marketing et du développement international de cette PME de 168 personnes.

Novethic. Votre entreprise de textile reste l’une des rares implantées en France. Et pourtant elle prend en compte le respect de l’environnement, et notamment la question climatique, sur l’ensemble de sa chaîne de production…

Corinne Lutin-Delzers. Et c’est rentable! Notre entreprise est familiale, elle existe depuis 150 ans. Le respect des hommes et de l’environnement a toujours été présent dans les valeurs de TDV Industries. Mais c’est il y a 15 ans, en pleine crise du textile, que nous avons vraiment pris le virage du développement durable. Nous avons commencé à réinvestir en France et dans du matériel nous permettant d’économiser de l’eau et de l’énergie. Beaucoup nous ont pris pour des fous ! L’entreprise compte aujourd’hui 168 salariés et nous n’avons pas fait de plan de licenciement depuis 35 ans. Dans le secteur du textile, c’est rare.

Novethic. Comment cela se traduit-il concrètement ?

Corinne Lutin-Delzers. Notre modèle de production est vertueux parce qu’il est intégré. Sur un même site, nous filons, tissons, teignons et réalisons la finition des tissus (ceux-ci peuvent être ignifugés pour les vêtements de pompiers ou enduits d’anti-moustiques par exemple). Cela nous permet d’éviter les déplacements, émetteurs de CO2. Mais les efforts se font tout au long de la chaîne de production. Pour nos matières premières, nous nous fournissons essentiellement en coton du Mali (90%) car celui-ci ne nécessite aucune irrigation mécanique : il pousse grâce à l’eau de pluie. Notre impact hydrique est donc nul. Nous avons aussi une partie de coton bio et équitable. Nous avons également fortement investi dans nos appareils de production : notre nouvelle ligne de préparation de teinture nous a coûté 6 millions d’euros, soit 15 % de notre chiffre d’affaires. Cela nous permet de récuperer l’eau de la teinture (20 % d’économie, NDLR), de récupérer la chaleur d’une machine pour en chauffer une autre. Nous recyclons 80 % de nos déchets et 90 % de notre filature. Nous avons des compteurs d’énergie un peu partout, nous limitons au maximum les déplacements, etc. Ces efforts, nous les faisons dans toutes nos activités.

En Allemagne, les clients ne sont pas prêts à payer pour l’écologie

Novethic. Cette politique réclame de gros investissements. Est-ce que vous parvenez à la valoriser auprès de vos clients?

Corinne Lutin-Delzers. Cela fait partie de notre argumentaire de vente. C’est notamment possible parce que nous pouvons mesurer l’impact de nos efforts grâce à notre calculateur environnemental. Il mesure l’empreinte carbone des produits mais aussi leur empreinte en eau et en énergie. Il permet aussi de comparer cette empreinte entre produits classiques et produits responsables. Toutes ces données sont mises en forme de façon très claire et nos clients peuvent les intégrer dans leurs rapports développement durable par exemple. Cependant, notre gamme de produits équitables ne représente aujourd’hui que 10 % de notre chiffre d’affaires. C’est bien mais nous pouvons encore faire mieux. Beaucoup de nos clients préfèrent le critère du prix à celui de la qualité. Et cette gamme est de 7 à 15% plus chère qu’une gamme classique. Si chaque opérateur veut ensuite prendre sa marge, cela renchérit beaucoup le coût du vêtement.

Novethic. Vous travaillez aussi à l’international, notamment en Europe du Nord, des pays où l’écologie est réputée plus présente. Vos clients sont-ils plus sensibles à vos modes de production ?

Corinne Lutin-Delzers. Pas vraiment. Il y a un grand écart mais en faveur de la France. En Allemagne par exemple, l’écologie reste une jolie histoire mais pour laquelle les clients ne sont pas forcément prêts à payer. En France, certains acheteurs, via notamment la commande publique, ont commencé il y a 10 ans à intégrer les préoccupations éthiques et environnementales. En Suisse par exemple, cela débute maintenant.

Novethic. Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés?

Corinne Lutin-Delzers. Notre charte achat précise qu’il faut se fournir au plus près. Ce n’est pas toujours évident car on ne trouve quasiment plus de fibres synthétiques en France. Nous essayons aussi de trouver une alternative au coton, en développant une filière française du chanvre. Celui ci n’a besoin ni d’eau ni de pesticides et peut parfaitement pousser dans l’Hexagone, dans l’Aube et le Nord-Ouest. Mais la fibre n’est pas encore exploitable en tant que telle -en France, sa froissabilité peut être un frein pour des vêtements professionnels, notamment ceux portés dans les espaces de vente par exemple.

Propos recueillis par Béatrice Héraud
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