Le prêt-à-porter “made in France”, une étiquette synonyme d’éthique ?

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S’habiller relève d’un acte citoyen. Depuis le drame du Rana Plaza en 2013, l’industrie du prêt-à-porter made in Bangladesh ou made in China est décriée par les consommateurs. A la différence des vêtements fabriqués en France, qui se présentent comme plus respectueux des droits humains et de l’environnement. Mais à quel prix, et surtout à quel point ?

Est-ce l’effet marinière d’Arnaud Montebourg ? En tout cas, les Français plébiscitent davantage le made in France. D’après une étude Ifop publiée en septembre 2015, ils sont 70% à affirmer vouloir acheter des produits fabriqués dans l’Hexagone plutôt qu’à l’étranger. C’est 30% de plus qu’en 2005.

Et ce jusque dans leur garde-robe. À la question « Pour quel produit la fabrication française compte-t-elle le plus ? », ils sont, selon un sondage TNS Sofres (avril 2010), 74% à répondre les vêtements.

POUR FABRIQUER UN T-SHIRT DE 250 GRAMMES, IL FAUT PAR EXEMPLE PRÈS DE 2500 LITRES D’EAU

« Après l’âge d’or de la mode jetable à bas prix, les délocalisations et la succession de scandales liés aux conditions de travail des ouvriers produisant pour de grandes marques internationales, le made in France rassure », constate Lionel Astruc, auteur du livre Voyages aux sources de la mode éthique.

Les consommateurs sont d’autant plus sensibles aux conséquences environnementales provoquées par l’industrie textile et pointées du doigt par les ONG. Pour fabriquer un t-shirt de 250 grammes, il faut par exemple près de 2500 litres d’eau. Sans parler de la pollution : 10% de la consommation mondiale de pesticides étant engloutie par la production de coton.

Un achat citoyen

Mais si acheter « made in France » relève d’un « acte citoyen » pour 95% des Français, en ont-ils tous les moyens ? C’est bien souvent le prix qui pose problème. Hélène Sarfati-Leduc, cofondatrice de la plateforme dédiée à la mode éthique Le French Bureau, est, elle, convaincue : « Les gens sont prêts à payer un peu plus. Ils ont compris, il y a un ou deux ans, qu’acheter moins cher et plus loin, c’était scier une branche. La branche sur laquelle ils étaient assis. Car en contrepartie, leur pouvoir d’achat baisse et les emplois disparaissent. »

Enfin, Lionel Astruc souligne la maturité des consommateurs face à cette notion de « coût caché ». « L’argent dépensé en plus pour un produit bio, c’est celui qu’on ne mettra pas dans nos impôts pour nettoyer l’eau souillée par les pesticides. Pour les vêtements, c’est pareil. Les citoyens français commencent à comprendre que ce qu’ils vont payer d’un côté, ils ne le paieront pas de l’autre. »

Le prix, c’est peut-être ce gros détail qui a fait la réputation de 1083. Fondée en 2013 par Thomas Huriez, cette marque française a réussi le pari de « relookaliser » la fabrication de jeans made in France à des tarifs compétitifs. « Malgré une main d’œuvre plus chère qu’elle ne le serait en Inde ou ailleurs, nos jeans sont au même prix que ceux des grandes marques, soit 89 euros dont 86 irriguent notre économie locale » se félicite le créateur, qui a su minimiser son empreinte carbone en réduisant les transports et redonner vie à un savoir-faire français presque enterré.

« EN QUELQUES MOIS, 110 000 EUROS ONT ÉTÉ LEVÉS ET UN ATELIER DE CONFECTION DE JEANS A VU LE JOUR À ROMANS, LA CAPITALE DE LA CHAUSSURE »

« J’ai découvert à quel point la disparition de filières entières est une puissante réalité en France. On est le Tiers Monde du textile. Rien qu’en terme de matériel, les usines les plus modernes ne sont plus chez nous depuis vingt ans », constate à regret Thomas Huriez. Partisan de l’économie solidaire, il a d’abord lancé une campagne de crowdfunding pour financer son projet de produire un jean et des baskets qui seraient à la fois branchés, éco-conçus, résistants et made in France. En quelques mois, 110 000 euros ont été levés et un atelier de confection de jeans a vu le jour à Romans, la capitale de la chaussure.

« Notre denim en coton bio est tissé dans la Loire et nous avons aussi un atelier de fabrication à Marseille », étoffe l’ancien étudiant en technologie informatique qui peut se vanter d’avoir créé une trentaine d’emplois. Ses ventes se sont quant à elles envolées : 15 000 jeans et 5 000 paires de baskets ont été vendues en trois ans.

Le souci de transparence

Un tel succès a de quoi faire rêver. Sur le créneau du made in France, les marques de prêt-à-porter se multiplient. Le site 100pour100-madeinfrance.com, fondé en 2009, en recense une cinquantaine selon des critères bien définis. « Un t-shirt fabriqué en Chine et assemblé en France peut se prévaloir d’être « made in France ». Or, pour nous, il faut que le produit soit labellisé Origine France Garantie, ce qui prouve que plus de 50 % de sa valeur est créée en France », soutient le fondateur Romain Davignon. « Un fabricant peut avoir une matière première qui vient de l’étranger, mais il faut dans ce cas nous en spécifier l’origine et le pourcentage. »

93% DES FRANÇAIS ESTIMENT QU’ACHETER UN PRODUIT MADE IN FRANCE LEUR ASSURE QU’IL A ÉTÉ FABRIQUÉ SELON DES NORMES SOCIALES RESPECTUEUSES DES SALARIÉS

Chez 1083, seul le coton et les rivets sont importés. La marque en a dès le début informé ses consommateurs sur son blog. « On dit ce qu’on fait, on fait ce qu’on dit ! », martèle Thomas Huriez.
Et pour cause, 93% des Français estiment qu’acheter un produit made in France leur assure qu’il a été fabriqué selon des normes sociales respectueuses des salariés et 87% pensent que cela favorise le respect de l’environnement. Les fabricants n’ont donc aucun intérêt à mentir. « C’est dangereux voire suicidaire pour une marque qui se prévaudrait du made in France de ne pas être irréprochable et de se faire épingler là-dessus. Les opportunistes ne feront pas long feu », avertit Hélène Sarfati-Leduc.

Aujourd’hui, dans le textile, une multitude de petites entreprises se créent avec cette volonté de transparence et de cohérence. « Donc forcément en créant de l’offre, on aura de la demande », soutient Romain Davignon. Et qui sait, la France qui est la capitale de la mode, pourrait aussi devenir celle de la mode éthique. « En tout cas, on n’envisage plus de former un étudiant de mode sans qu’il n’intègre ces valeurs de responsabilité, se réjouit Hélène Sarfati-Leduc. En plus, ils sont passionnés par le sujet ! »

18 SEPTEMBRE 2016

Par Up-inspirer

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